Selon les statistiques d'Europol, sur les 5 dernières années 2 % des attaques terroristes en Europe ont été perpétrées pour des "raisons religieuses". La majorité de ces actes sont le fait de groupes séparatistes.

Atlantico : Depuis 15 ans, l'actualité voit régulièrement l'irruption de terroristes islamistes. Or, selon une étude dirigée par l’organisme intergouvernemental Europol, seulement une minorité des attaques terroristes survenues en Europe proviendraient de terroristes radicaux se revendiquant d'une religion : 2%. Pourquoi sommes-nous davantage marqués par les attentats perpétrés par les terroristes islamistes ?

Arnaud Blin : Ce qui frappe dans l'étude, c’est le rapport (pour 2013) entre le nombre peu élevé de victimes (7) d’un côté, et le nombre d’attentats (152) et d’arrestations (535) de l’autre. Mais pour 2015, le nombre de victimes a déjà plus que doublé par rapport à ce chiffre. Europol s’intéresse à l’UE et on voit des tendances similaires aux Etats-Unis par exemple même si l’attentat le plus retentissant des dernières années fut celui de Boston, organisé par deux frères qui revendiquaient leur islamisme militant. En 2014, le Canada et l’Australie ont subi des attaques à caractère religieux particulièrement violentes, d’où l’impression, partiellement justifiée par ces faits, que les attaques terroristes sont principalement du fait de terroristes radicaux musulmans. Cette impression est par ailleurs renforcée par les attentats qui ont lieu ou ont eu lieu dans d’autres régions du monde et sont le fait de groupes revendiquant plus ou moins directement leur militantisme islamique. Cela va de la Tchétchénie aux Ouighurs, du Nigéria aux divers groupes rattachés à Al Qaeda en Afrique ou dans la péninsule arabique, à l’Indonésie, au Proche Orient, etc… Sans parler même de ce qui se passe en Syrie, en Irak ou au Pakistan et en Afghanistan, où les victimes, fort nombreuses, sont en majorité des musulmans. Il y a donc un effet d’accumulation qui se superpose aussi au choc du 11 septembre 2001 et des attentats de Madrid et de Londres.   Tout ça pour dire qu’il faut regarder les choses à plus long terme et de manière plus globale que l’instantané fourni par les données d’Europol. Surtout, il faut garder en tête que le terrorisme se définit par son caractère psycologico-émotionnel et que la perception des faits et leur impact est beaucoup plus important que les données brutes. Et même si une majorité des attentats est motivée par des considérations séparatistes et que, en conséquence, la plupart des auteurs de ces actes ne sont pas des combattants islamistes, cela ne change pas grand-chose à la donne. Ce qu’il faut voir, c’est qu’une bombinette sur un bungalow en Corse ne va pas avoir la même charge émotionnelle que la tuerie de Charlie Hebdo. En matière de terrorisme, tout est dans le caractère de l’attentat et les séparatistes corses, par exemple, sont tout à fait conscients qu’un attentat trop violent nuirait à leurs intérêts et serait contre productif. Au contraire, dans la mesure où les militants islamistes cherchent à briser une société entière, leurs attentats vont avoir un caractère intolérable. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les terroristes ne cherchent pas nécessairement à commettre l’acte le plus violent ou le plus atroce mais celui susceptible de provoquer une réaction en rapport avec leurs objectifs, politiques ou autres.

Qui sont à l'heure actuelle les principaux terroristes dans le monde ?

Il faut tout d'abord s’entendre sur ce qui constitue un attentat terroriste. Est-ce que, par exemple, les actes de terreurs commis par des groupes maffieux tombent dans cette catégorie ? La réponse à cette question, et d’autres semblables, donnera des résultats très différents. Des listes des principaux terroristes dans le monde existent, compilées par des services de renseignement ou des universitaires. Le plus intéressant avec ce type de liste, c’est de voir les tendances à moyen et long terme. Historiquement, ce qu’on voit, c’est que les motivations changent avec la période : au tournant du 20e siècle, ce sont les anarchistes qui dominent, durant l’entre deux-guerres, ce sont les groupuscules d’extrême droite téléguidés par des gouvernements, puis, après la guerre, les groupes indépendantistes, suivis dans les années 60-70 par les groupuscules d’extrême- gauche et puis par les islamistes radicaux à partir des années 1980. Pour autant, ni les anarchistes, ni les indépendantistes/séparatistes, ni les groupes d’extrême-gauche ou d’extrême droite n’ont disparu pour autant. Au Chili, par exemple, un groupuscule anarchiste a récemment revendiqué un attentat. Mais chaque période voit une dominante et on constate malheureusement que le terrorisme a la vie dure. Pourquoi les autres types de terrorisme sont-ils moins visibles ? Est-ce que les médias ont tendance à davantage couvrir les actes terroristes perpétrés par les Musulmans ? Pourquoi quelle raison ? Aujourd’hui, en terme d’impact, ce sont les islamistes qui font la Une et c’est le caractère de leurs actes qui fait qu’ils sont logiquement ciblés par les médias. C’est d’ailleurs ça qu’ils recherchent. Une stratégie consisterait à ignorer ces attentats, avec le risque que le prochain attentat soit encore plus violent. Mais dans un monde dominé par la communication, ça n’est pas vraiment réaliste. L’autre réponse, la meilleure à mon sens, est la réponse citoyenne qu’on a pu voir en France le 11 janvier avec une couverture médiatique importante mais globalement à la hauteur de l’événement et très digne. D’ailleurs, quelle meilleure réponse que d’identifier l’événement au 11 janvier plutôt qu’au 7 janvier? L’autre raison pour laquelle les autres attentats sont moins visibles, c’est la peur qu’ont les autres groupes désormais d’être assimilés aux islamistes. C’est l’un des rares effets positifs de ces attentats et on en a vu les conséquences à Madrid, notamment, où les séparatistes basques avaient été initialement accusés d’avoir commis l’attentat. Après, ils se sont singulièrement calmés... Comme le terrorisme fait traditionnellement partie de l’arsenal séparatiste, on commet toujours des attentats, mais ils sont plus mesurés. Moins spectaculaires, ils attirent moins l’attention des médias.

Pourquoi la menace terroriste islamiste est-elle considérée la plus importante par les responsables antiterroristes ? Font-ils plus de victimes ? Quels types de dommages causent les autres terroristes ?

Elle est la plus importante parce que derrière, il y a une organisation qui, avec d’autres moyens, n’hésiterait pas à augmenter le degré de violence. Donc, il est impératif de stopper ou tout au moins d’endiguer la menace avant qu’elle n’augmente. Avec divers sanctuaires protégés, Al Qaeda ou Daech ont des réserves humaines et des ressources conséquentes. Il ne s’agit pas ici de quelques individus isolés comme avec Action Directe ou la bande à Baader. Récemment, en Occident tout au moins, le nombre de victimes a été relativement limité mais n’oublions pas les milliers de victimes irakiennes, syriennes ou nigérianes, sans parler des 3000 morts de New York et Washington. N’oublions pas non plus que les Tigres Tamouls au Sri Lanka ou les FARC en Colombie ont provoqué dans un passé récent la mort de milliers de personnes. Demain, d’autres groupes avec des revendications nouvelles peuvent émerger et provoquer de gros dégâts, d’autant que la lutte terroriste consiste essentiellement à identifier des réseaux et qu’un nouveau groupuscule agit, au début du moins, au-dessous du radar de la police.

La menace est aussi jugée comme plus importante parce que les objectifs des islamistes combattants sont de casser une société ou même une civilisation là ou d’autres ont des objectifs beaucoup plus limités qui se confinent généralement à un pays ou une région. Y a-t-il un consensus à travers les Etats sur la notion de terrorisme ? Pourquoi la communauté internationale n'a jamais réussi à s'entendre sur cette notion ?

Il n’y a pas vraiment de consensus au niveau de la définition puisqu’avec une définition large, on pourrait taxer certains Etats comme les Etats-Unis de mener des campagnes de terreur à l’extérieur. Israël, notamment, est jugé par certains comme un « Etat terroriste », notion inacceptable pour une partie de la communauté internationale.