De l’enclos à l’espace

Dans l’édito du document programme « Université d’été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens », le comité de pilotage écrit : « pour que l’impact de toutes nos diverses actions soit plus fort, nous avons besoin de nous rassembler, de nous appuyer les un.e.s sur les autres. », on pourrait y voir un appel à la conjugaison de ces diverses actions porter par un ensemble constitué à même d’agir pour plus d’impact dans l’espace public. Sauf que la conjugaison ne pourrait être si, au préalable, les entités porteuses de ces actions ne se soient rencontrées. Peut être pourrions-nous voir en cette université d’été solidaire et rebelle le cadre devant non seulement créer et faciliter la rencontre, mais également de la penser. Comment donc organiser cette rencontre et avec qui ? La rencontre telle que le présente Edouard Glissant est ce par quoi il faut passer pour « accorder ensemble des rythmes qui ne sont jamais connus ».

Le cadre qu’offre l’Université d’été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens met en lumière des formes d’enclos, certes ouvert, mais symbolisés par des frontières révélés par des tentes appartenant à diverses associations. Chaque structure affiche son identité associative. On glisse d’un stand à l’autre en prenant au passage divers prospectus présentant l’association. Plusieurs salles sont dédiées à diverses conférences. On dispose d’un programme dense, les thèmes sont saisissants, mais on ne pourrait être partout. A la fin de la journée on peut se retrouver autour d’une table avec une boisson ou un repas. Mais une question émerge : Qu’est ce qui pourrait créer lien entre ces divers enclos associatifs sans qu’ils ne perdent leur singularité ?

L’atelier de lecture pirate à laquelle j’ai participé s’est avéré un espace, à côté de cette multitude d’enclos, à même d’apporter des éléments de réponse à ce qui pourrait faire lien. Partir des lectures partagées et amener les enclos présents à faire parler leur expérience à partir de ces lectures donne à imaginer les modalités de la rencontre. L’espace créé par l’atelier de lecture pirate a fait tomber ces frontières en tentant de trouver une mesure dans une sorte de démesure. Chaque personne présente a participé à donner du sens à cet espace qui ne s’encombre pas de limite et encore moins de protocole. L’espace de l’atelier pirate a ainsi facilité la rencontre en action à travers l’art poétique et comme le précise Glissant, nous avons été amenés à voir comment les personnes changent en échangeant tout en s’ouvrant sur l’autre pour mieux se connaitre. La lecture des textes de poésie d’abord individuellement et ensuite en groupe de deux ou trois a donné à voir comment la relation entre les personnes met en évidence une pensée d’enclos qui puise dans l’expérience de la personne tout en suffoquant de ces pensées systématiques et fétiches marquées par l’emblème certitude absolue. Sans le vouloir et même sans l’avoir prémédité, les personnes présentes ont pu faire l’expérience de ces enclos producteurs de connaissances et qui ne se prévalent pas d’une vérité à uniformiser ou à globaliser. Par la rencontre, ces enclos producteurs de connaissance affichent chacun une particularité, qui elle-même est une particularité ouverte. Ceci renseigne sur l’idée de l’indépendance dans la pensée des enclos et même de l’action mais qui postule une interdépendance qui s’avère nécessaire et indispensable dans un espace sans fin ni limite. L’atelier pirate s’est alors refusé d’apparaitre comme un espace qui fait de la somme des singularités et des particularités un « Nous » homogène.

D’ailleurs Frank Smith un auteur dont nous avons lu un texte tiré de son ouvrage, Chœurs politiques, donne à méditer sur nos singularités « n’imite pas, et ne te conforme pas à un modèle, et fous-toi des principes et des constructions de phrases, des rythmes et des figures, et ne pense pas aux conséquences qui s’en suivent, et remplace un mot par un autre s’il ne te convient pas, il n’y a que des propositions fragiles et insensées pour essayer de se comprendre, alors crée des mots et des phrases, crée des mots fabuleux à condition de les défabuler, Combine la matière des choses et des éléments, et n’aie pas peur des contresens à moins qu’ils ne soient induits par des interprétations diffuses, et éloigne, refuse le pouvoir que tu pourrais avoir, mais rapproche, invente de nouvelles forces… »

Mouafo L’Errant/Passant