On a pu entendre sur France Culture le 27 mars 2014 les invités (Gabriel Martinez-Gros et Jean-Michel Contrepoint) et les chroniqueurs débattre sur les formes modernes des empires. A la proposition d'un chroniqueur (Xavier de la Porte) de comparer les grandes multinationales comme Facebook, Google et Apple à des empires, au sens politique du terme notamment parce qu'il défend l'existence de frontières : ces entités possèdent en effet des frontières qui distinguent leurs normes propres, à savoir le code informatique ; comment se présenter, parler, sélection des sujets ; sans quoi bannissement qui agissent comme des « juridictions ». on peut également leur prêter une volonté hégémonique, d'étendre ces juridictions. Il conclut en remarquant que ces frontières ne sont pas aussi dangereuses que celles des empires au sens classiques, telles la Méditerranée. Tout s'accorde donc pour dire que ces empires d'un type nouveau ne sont pas violents, « il y manque la charge de la violence qui est le talon d’Achille des empires, de tous les empires y compris de ceux-là de ces tentatives de mondialisation, forme moderne de l'empire »1.

Pourtant si on voit la violence au-delà de la seule violence directe – les morts provoquées par la guerre entre armées nationales ou par le naufrages d'embarcations de fortune parties pour traverser la Méditerranée – peut-on toujours dire que de telles multinationales ne sont pas violentes ? Sans aller jusqu'à prendre l'exemple paroxysmique des suicides dans l'entreprise Orange2, les violences que font subir aux employés les pratiques managériales sont bien réelles au sein des entreprises, de même que sur les parties prenantes plus largement : riverains des sites d'exploitations ou de production, usagers et consommateurs etc. Si Orange/France Télécom défraie la chronique en France, Foxconn – principal sous-traitant de Apple en Chine – est la cible de médias internationaux et d'ONG d'envergure qui dénoncent le travail forcé, les brimades et les cadences infernales. Les technologies de pointe prennent aujourd'hui la place de l'industrie textile dans la années 90 pour incarner les réalités sociales qui nous renvoient aux romans de Zola. Dans un autre contexte, les exploitations minières déstructurent en profondeur le tissu social des villages riverains en les déplaçant au besoin et les privant de leurs terres ancestrales, en attirant avec un marché de l'emploi boosté des activités propres à la main d’œuvre déplacée formée d'hommes célibataires, comme la prostitution. On pourrait encore citer les déplacements de population dus aux accaparements de terre achetées par les multinationales les plus puissantes du monde. Ce mélange de violence directe (suicides) et structurelle (impératifs de la compétitivité) se trouve bien au cœur de l'activité économique.