Méthodes d'actions non-violentes dans les mouvements étudiants de protestation au Cameroun
Par Claske Dijkema le Lundi, janvier 21 2013, 22:50 - Outiller la paix / Tools for change - Lien permanent
Un interview avec Herrick Mouafo à propos de son implication dans les mouvements étudiants de protestation au Cameroun, sur ses méthodes d'actions non-violentes ainsi que sur le processus de construction d'un mouvement social.
Quelles étaient les origines du mouvement étudiant au Cameroun? Le mouvement, organisé autour du syndicat étudiant Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (Addec), est né en 2004 pour donner voix aux étudiants et améliorer leurs conditions de vie et d'études (amphithéâtre trop petits…). Selon Herrick Mouafo, ce mouvement est un moyen de politiser l'université dans le sens où il développe les débats entre étudiants, accroît leur liberté de penser et les encourage à s'engager face aux différents problèmes auxquels ils sont confrontés. L’organisation et les méthodes d'actions non-violentes apparaissent comme un moyen de prévention contre l'internalisation de la peur et un moyen de contournement de la répression violente couramment utilisée par l'État.
Quelles sont les méthodes utilisées pour favoriser le changement? Les revendications étudiantes telles qu’elles étaient pratiquées avant étaient systématiquement stoppées par la violente répression de l'État via la police ou les forces militaires. Etant donné que ces derniers sont physiquement plus puissants que les étudiants, l'Addec a décidé d'utiliser des méthodes non-violentes telles que les grèves de la faim, afin de surprendre l'État et le forcer à négocier. Herrick Mouafo explique qu'il est nécessaire de s'organiser d'abord avant d'entrer en action. L'objectif est avant tout de gagner en légitimité, en crédibilité en ayant un discours cohérent et structuré tout en représentant des intérêts et revendications communs. Le mouvement étudiant doit ensuite identifier tous les acteurs ayant un intérêt à prendre part à leurs activités, telles que les organisations et acteurs diplomatiques occidentaux, les partis d'oppositions et les médias. Cela a pour objectif de les familiariser avec le discours des étudiants et de réfléchir aux moyens les plus appropriés pour faire entendre leurs voix. Ces organisations semblent en effet mieux placées que les étudiants pour influencer l'État. C'est aussi un moyen d'introduire le débat dans la société et de montrer au parti au pouvoir que ce mouvement concerne une multitude d'acteurs et de secteurs et est donc primordial. Une autre condition nécessaire à la réussite du mouvement est non pas d'organiser le conflit autour d'un seul leader mais de l'organiser sur un plan horizontal, par la population concernée dans son ensemble. Cela permet de renforcer le mouvement face à la répression de l'Etat dans le sens ou il ne peut pas être stoppé en écartant ses leaders.
Dans quel sens le mouvement étudiant peut-il contribuer au bien-être des citoyens camerounais? Herrick Mouafo soutien que ce mouvement a des effets directs et indirects sur bien-être des citoyens camerounais. Pour les étudiants, s'il réussit, il permet de faire entendre leurs revendications et peut les aider à résoudre certaines de leurs difficultés en termes de conditions de vie et d'étude. Indirectement c'est aussi un moyen de lutter contre un Etat autoritaire et répressif. Cela a donc des impacts sur l'ensemble de la société. Il l'aide à affirmer plus librement ses besoins et revendications. Le mouvement étudiant apparaît donc comme une étape pour accroître les libertés des citoyens.
Pouvez-vous décrire le processus de construction du mouvement? Le mouvement étudiant et la création de l'Addec sont issus d'initiatives étudiantes. Ensuite seulement le mouvement est diffusé à d'autres acteurs. Il doit accroître le débat entre tous les étudiants afin d'être complètement collectif. Il a été impulsé par un groupe d’étudiants plus déterminé que les autres pour lutter pour leurs droits et pour politiser l'université.
La mobilisation contribue-t-elle à la cohésion sociale? Et si oui, dans quel sens? Elle construit le lien entre la communauté étudiante et leurs partenaires au sein de la societe civile. Créer une alliance plus large constitue un des objectifs du mouvement selon Herrick Mouafo dans le sens où il constitue la première étape de toute lutte. Ce mouvement doit transformer les mécontentements et sentiments de colère individuels en revendications collectives. Il doit souligner les intérêts communs et organiser un discours légitime et cohérent. Il est donc nécessaire de lutter contre les désaccords internes et d'unifier les forces. Sans cela, il est impossible de légitimer le mouvement et de rééquilibrer le jeu de pouvoir contre le parti en place.
Cela affecte-t-il les relations entre acteurs dans la société? Selon Herrick Mouafo, l'un des objectifs directs de ce mouvement est de renverser l'équilibre des pouvoirs entre les étudiants et le parti au pouvoir. En faisant entendre la voix des premiers, en les rendant égaux voire plus puissants que le gouvernement, ils peuvent ainsi espérer atteindre leurs objectifs. Pour cela les étudiants et leurs partenaires doivent contourner la répression et utiliser des stratégies de lutte plus puissantes que celles du gouvernement. En réalité, le conflit entre étudiants et gouvernement existait bien avant la construction du mouvement dans la mesure où ce dernier ne répondait pas aux intérêts des premiers. Cependant le pouvoir de l'Etat et l'internalisation de la peur empêchait toute confrontation directe. L'organisation des sentiments individuels de colère et la gestion des stratégies de lutte permettent aux étudiants de débuter une confrontation directe avec le gouvernement. Ils acquièrent ainsi la capacité à gagner le conflit.
L'entretien a été réalisé par Charlotte Monteil, étudiant en Master International en Etude du Développement à l'Institut de Géographie Alpine, a Grenoble.