Les différences sur lesquelles sont construites les sociétés ne fonctionnent pas indépendamment les unes des autres. Pratiquer l'intersectionnalité signifie refuser de séparer ces multiples facettes des différences pour concevoir l'action et les recherches à mener. Associée à un questionnement sur la positionnalité, l'analyse intersectionnelle permet une lecture de chacun à partir de ses positions propres dans le jeu des influences de la société.

Ce travail de réflexivité n'est pas étranger aux sciences sociales ni aux méthodes de l'éducation populaire qui proposent une analyse du lieu d'énonciation afin de comprendre le point de vue des auteurs, le déroulement et les orientations de la recherche. C'est une position de questionnement et d'écoute qui laisse une place au doute, nécessaire pour rendre possible le dialogue entre les différents lieux et producteurs du savoir. Dès lors, ce travail réflexif revêt d'emblée une dimension politique et épistémique.

En nous inscrivant dans le courant de la pensée décoloniale, nous proposons de lire la production et la diffusion du savoir à travers le lien qui existe entre la modernité occidentale et son passé colonial. Les processus coloniaux de l'expansion impériale de l'Occident se poursuivent aujourd'hui dans les inégalités au niveau mondial. La colonialité a donné les bases d'une classification sociale qui attribue la position supérieure aux peuples du monde occidental, à partir de l'unique critère de la race, qui, s'il a été critiqué depuis, persiste dans sa force de produire des préjugés. Une déclinaison de cette situation est l’émergence d’une forme adjectivale « littérature nègre » comme inférieure à la littérature occidentale. La rupture avec cette hiérarchisation a donné lieu à la négriture, comme modalité d’affirmation de son indépendance de pensée et du refus de la pensée sous-tutelle. Une rupture reste nécessaire et elle questionne la réception, par les acteurs des anciennes colonies, de concepts venus d’ailleurs. Citons seulement la « décolonisation conceptuelle » qu'appelle de ses voeux le philosophe ghanéen, Wiredu.

En définissant la « colonialité du savoir », des chercheurs en sciences sociales latino-américains ont mis au jour une forme de colonialité renouvelée qui se poursuit bien au-delà des indépendances, tant que les hiérarchies établies pendant la période coloniale se poursuivent par les logiques du capitalisme et du développement. Ils analysent une violence épistémique et appellent à une plus large reconnaissance d'une pluralité de savoirs. Une telle conscience décoloniale rend dès lors impossible l'énonciation d'un universalisme.

L'idée d'un « pluriversalisme » mettant à égalité toutes les humanités suggère une pluralité de formes d'être au monde, une multiplicité des sources et des centres de production du savoir. C'est une critique radicale de l’eurocentrisme dominateur et destructeur et une invitation à des approches nouvelles et des épistémologies alternatives, à développer des manières de vivre et de penser le monde. La diversité apparaît, dans ce contexte, comme le levier pour relever les défis de la justice sociale, en s'appuyant sur une conscience décoloniale et fondée sur une analyse intersectionnelle.

En visitant la richesse de la pluralité des savoirs, nous proposons d'explorer les conditions d'un dialogue qui les articulent en vue de la construction de savoirs collectifs. Nous chercherons à voir et entendre, à construire ensemble une pensée monde décolonisée, en s'émancipant des binarités forgées par l'eurocentrisme. Les échanges sur une géopolitique critique du savoir se proposent de questionner au moins deux échelles :

  • le niveau global, où un eurocentrisme persistant pose les modalités d'une asymétrie fondamentale dans les relations, sous la forme de colonialités.
  • le niveau local, où sont questionnés les lieux de production de savoirs à partir des expériences pour explorer les possibilités de partenariat et de méthodologies favorisant le dialogue entre eux.
  • A travers films, spectacles vivants, tables rondes, universités populaires, conférences gesticulées, ateliers en tout genre, balades sonores, permanences d'accès aux droits, publications et affichages.... nous invitons à toute manifestation d'intérêt pour composer le programme de ces Rencontres.

CONTACT

Rencontres de Géopolitique critique 2018 : Pour une géopolitique critique du savoir Partenaires: Pacte Justice Sociale, Zion of Color, MJC Desnos info@modop.org

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Spivak, G. C. Can the Subaltern Speak? 1988. Traduction française de VIDAL, J. Les Subalternes peuvent-illes parler ? Paris : Amsterdam, 2009 De Sousa Santos, B. (2014). Epistemologies of the South: Justice against Epistemicide. Boulder: Paradigm Publishers. Hountondji, P. J. (1997). Introduction: Recentering Africa. In P. J. Hountondji (Ed.), Endogenous Knowledge: Research Trails (pp. 1-39). Dakar: Codesria Book Series. Mignolo, « Géopolitique de la connaissance, colonialité du pouvoir et différence coloniale ». In Multitudes n° 6, Majeure : raison métisse, 2001 Mignolo, W. (2011). The Darker Side of Western Modernity: Global Futures, Decolonial Options. Durham and London: Duke University Press. Quijano, A. (2010). Coloniality and Modernity/Rationality. In W. Mignolo, and A. Escobar (Eds.), Globalization and the Decolonial Option (pp. 22-32). New York: Routledge. Vázquez, R. (2011). Translation as Erasure: Thoughts on Modernity's Epistemic Violence. Journal of Historical Sociology, 24(1), 27-44.