Gérard Chaliand est un aventurier aux visages multiples. Il y a, tout d’abord, la figure du géopolitologue, spécialiste de la guerre irrégulière, qui a arpenté le globe et les conflits de ces soixante dernières années en étant observateur-participant : de la Guinée-Bissau au Nord Viêt Nam, en passant par la Colombie, il a également passé beaucoup de temps au Moyen-Orient, se rendant régulièrement en Afghanistan, en Irak et en Syrie. De ses expériences aux côtés des insurgés des quatre continents, Gérard Chaliand sortira une trentaine d’ouvrages, dont son fameux « Anthologie mondiale de la stratégie » et, plus récemment, l’essai « Pourquoi perd-on la guerre ? » Et puis, il y a la figure du professeur invité qui, toute une vie durant, a présenté ses analyses à différentes générations d’étudiants du monde entier, notamment français (Ena, École de guerre), américains (universités de Harvard, Berkeley et de Californie à Los Angeles plus connue sous le nom de UCLA) et asiatiques (université nationale de Singapour). Enfin, il y a la figure, moins connue celle-ci, du poète, qui trouve refuge dans l’écriture face à l’atrocité du conflit. Pour Gérard Chaliand, la violence n’est pas un concept, mais avant tout une expérience de terrain, forcément dure. L’union de ces trois figures se retrouve dans un langage tranchant et direct, loin des commentaires à “l’eau tiède” de certains plateaux télévisés.

- Le Comptoir : Vous écrivez que la guerre irrégulière, guérilla et/ou terrorisme, est une « guerre asymétrique, opposant un fort et un faible ». Au titre de votre ouvrage Pourquoi perd-on la guerre ?, vous répondez « la guerre irrégulière ne se gagne pas sur un plan strictement militaire. Elle se gagne surtout par un contrôle administratif des populations. Là réside l’échec occidental des cinquante dernières années, du Viêt Nam à aujourd’hui ». Qu’entendez-vous par « contrôle administratif des populations » ?

- Gérard Chaliand : La guérilla, telle que l’ont pratiqué, par exemple, les Espagnols, entre les XVIIIe et XIXe siècles, a été analysée par Carl von Clausewitz. Qu’est-ce qu’il dit ? La guerre est avant tout un harcèlement, l’usure de l’adversaire, fondée sur la mobilité, avec un refus de l’affrontement central. En somme, il s’agit d’affaiblir, avec les troupes irrégulières, une armée régulière.
Entre 1936 et 1938, Mao Zedong va repenser cette question de la guerre. Il dit que ce que vise son armée n’est pas l’affaiblissement strict et unique de l’adversaire, mais bien la prise du pouvoir. Or, pour prendre le pouvoir, il faut avoir des cadres qui s’installent le plus profondément possible dans les structures populaires. En Chine, le prolétariat, pour l’essentiel, a été décimé en 1925-27 par des insurrections urbaines. Il s’agit donc d’arriver à entraîner la paysannerie pauvre, qui est considérable en Chine, et leur dire pourquoi et comment il faut se battre. C’est une œuvre de longue haleine, où les cadres doivent pouvoir s’insérer à l’intérieur des villages. Comment le faire ? D’abord, il faut former les cadres, c’est-à-dire avoir des types qui parlent le langage du pays. Par exemple, Ernesto Che Guevara, en Bolivie, ne parlait rien du tout : il parlait l’espagnol dans des zones indiennes où l’espagnol n’était pas compris et constituait la langue de l’oppresseur. C’est donc un long travail, qui consiste à changer, avec le temps, sa faiblesse en force.

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