Le Rif marocain, un volcan en plein réveil
Par admin le vendredi, août 4 2017, 12:26 - Lien permanent
Le Rif, région essentiellement montagneuse au nord du Maroc, est le théâtre d’une contestation apparue avec la mort de Mouhcine Fikri, vendeur de poisson, mort broyé par une benne à ordures en tentant de sauver sa marchandise pêchée illégalement (500 kilos d’espadon), le 28 Octobre 2016 à Al Hoceima. Cet événement a été le déclencheur de la colère du Rif, certains ayant fait le rapprochement et la comparaison avec la mort de Mohammed Bouazizi (1) en Tunisie qui a déclenché les révoltes dans ce pays et plus largement dans le monde arabe.
Le Rif, région essentiellement montagneuse au nord du Maroc, est le théâtre d’une contestation apparue avec la mort de Mouhcine Fikri, vendeur de poisson, mort broyé par une benne à ordures en tentant de sauver sa marchandise pêchée illégalement (500 kilos d’espadon), le 28 Octobre 2016 à Al Hoceima. Cet événement a été le déclencheur de la colère du Rif, certains ayant fait le rapprochement et la comparaison avec la mort de Mohammed Bouazizi (1) en Tunisie qui a déclenché les révoltes dans ce pays et plus largement dans le monde arabe.
Depuis cet événement, nombre d'habitants du Rif, plus particulièrement la région administrative de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, manifestent pour plus de justice sociale, contre la corruption, pour une réduction du chômage et de la pauvreté ; comme le scandent les manifestants, ils veulent plus de dignité humaine et sociale. Suite aux manifestations d’Al Hoceima, qui ont débuté en novembre 2016, un leader naturel (2) de la contestation est apparu, Nasser Zefzafi. Son arrestation, consécutive au fait qu’il ait interrompu un prêche dans une mosquée, a eu pour effet d’étendre la contestation au pays tout entier, avec pour revendication additionnelle, la libération des prisonniers politiques.
Cette crise rifaine s’étend au fil des semaines. Elle a particulièrement pris de l’ampleur durant le mois de ramadan avec une manifestation de grande ampleur le 11 juin 2017 à Rabat. En effet, nous avons assisté à des manifestations quotidiennes et impressionnantes durant tout le mois de jeûne au Maroc. Ce mouvement contestataire a donné lieu plus récemment à des violences et à des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, tels que la manifestation du 8 juillet 2017 à Rabat dispersée dans la violence. Malgré ces violences et cette répression policière, le mouvement grandit et atteint davantage de villes avec des manifestations régulières dans plusieurs grandes villes du pays telles que Casablanca et Rabat.
Cette crise que connaît le Rif actuellement donne lieu à de multiples interprétations. En effet, nous avons d’un côté les défenseurs de l’idée d’une ingérence extérieure visant à envenimer et à amplifier la crise rifaine. Nous avons d’un autre côté l'hypothèse que le Maroc revient à son autocratie d’antan avec l’intervention policière et les violences qu’elle cause.
Malgré ces interprétations, cette contestation et cette crise mettent en lumière l’échec des programmes de développement économique et celui des infrastructures lancés par le pouvoir monarchique dans la région. En effet, le mouvement contestataire remet en cause plusieurs projets de développement pour n'avoir pas abouti, principalement du fait du décalage présent entre ces projets et les besoins réels et premiers des habitants.
En effet, plusieurs projets, considérés comme innovants et attirant les investissements vont à l'encontre de la volonté première des habitants, tel que le projet de marina à Al Hoceima, auquel ils ne voient pas d'utilité première. De plus, certains projets n'ont pas abouti et, de ce fait, ont pu réveiller les esprits sur l’absence d'adéquation entre les projets et les besoins réels : on peut mentionner à titre d’exemple, le supermarché construit près du centre ville qui a concurrencé les petits commerçants qui ont vu leur chiffre d’affaires dégringoler, cette réalité étant perceptible sur le court terme.
C’est parce que les habitants du Rif ne voient pas leur intérêt direct dans les actions de développement local entreprises par l’État qu'ils réagissent et manifestent leur colère, cela malgré l’existence d’une agence de développement consacrée à cette région.
Comprendre la colère du Rif marocain
Le Rif marocain, région de culture berbère, possède une réelle tradition contestataire observée tout au long de son histoire. Le Rif porte, en effet, des séquelles douloureuses, résultat de son histoire violente. Ces séquelles sont le résultat, tout d’abord, de la guerre du Rif conduite contre le pouvoir colonial espagnol dans les années 1920, la région étant devenue brièvement indépendante sous la conduite de Abdelkrim Al Khattabi qui créa la République du Rif. Cette région, se souleva une nouvelle fois juste après l’indépendance, en 1958. Ce soulèvement sera réprimé violemment par le prince héritier Moulay Hassan, futur roi Hassan II. Enfin le Rif se souleva également lors des émeutes du pain, dont Al Hoceima a été un haut lieu de la contestation, en 1984. Ces révoltes ont de nouveau été réprimées violemment par le roi Hassan II.
Tout le poids de cette mémoire contestataire et de la répression qui s’en est suivie ressort lors des manifestations actuelles, notamment à travers les drapeaux berbères et ceux de la république du Rif qui sont brandis. L’apparition de ces drapeaux n’a pour but que de montrer et de rappeler le passé de confrontation violente qu’a connu cette région avec le pouvoir central. Passée par diverses révoltes et répressions, la région a pu avoir le sentiment de bénéficier de réparations avec le règne du roi Mohammed VI, mais cela n’a finalement pas été le cas, malgré les promesses de son début de règne (1999).
Du fait du délaissement de cette région par le pouvoir central, elle fait désormais partie des régions les plus pauvres du Maroc. Ses seuls atouts économiques sont la pêche, sur laquelle pèsent plusieurs interdictions, certaines espèces de poissons étant interdites de pêche, et la production illégale de cannabis. Cette région ne survit donc que grâce à une économie illégale, sur laquelle les autorités ferment les yeux. Cette économie illégale étant utilisée comme outil de maintien de la paix sociale. En effet, cette région, longtemps oubliée par le pouvoir central, du fait de son histoire, fut laissée à l’abandon et n’a pas été incluse dans l’économie nationale. Elle a donc dû trouver des moyens de survie qui se trouvent être cette économie illégale.
Cette situation économique plus que précaire se trouve être le fer de lance de la mobilisation rifaine. Cette mobilisation, faite à travers le mouvement du Hirak, mouvement citoyen mené au début par Nasser Zefzafi et permettant de donner une voix aux habitants du Rif, s’appuie sur des revendications concrètes et essentielles à la survie. En effet, les manifestants demandent la construction d’un centre hospitalier décent, la construction d’une université, il exigent également des institutions d’État régionales non corrompues et une relance de l’économie régionale dans le but de créer du travail pour les jeunes car le taux de chômage régional est le plus fort taux du pays : il atteint 20% (2 fois supérieur à la moyenne nationale). Le mouvement contestataire exige également la rénovation des réseaux de distribution d’électricité et d’eau potable.
Il est vrai que ces revendications se trouvent être simples et claires, car correspondant à des besoins vitaux, mais elles donnent lieu à une interprétation plus profonde et importante : la réintégration de la région dans l’économie nationale.
La dérive violente du conflit social
Le mouvement prend de plus en plus d’ampleur depuis son commencement, cela du fait de la lenteur de la réaction de l’État. En effet, si l’État veut donner quelques signes des efforts de développement au Rif, ces projets s'inscrivent dans le long terme et les résultats ne seront pas perceptibles rapidement ; de plus, la confiance des habitants est maintenant érodée du fait de la répression à l'époque de Hassan II et des promesses non tenues de Mohammed VI..
Dès le début de la contestation, suite à la mort de Mouhcine Fikri, le pouvoir central marocain s’est empressé d’envoyer des ministres sortants au chevet de la famille Fikri, en novembre 2016, afin d’essayer de montrer leur bonne volonté et leur solidarité. D'un autre côté, nous avons également assisté à l’organisation de procès qui ont conduit à la condamnation de 7 manifestants à des peines allant jusqu’à 18 mois de prison fermes. Aucune de ces deux méthodes n’a empêché le mouvement de grandir et de s’intensifier.
C'est la seconde qui a pris le dessus et, du fait de l’ampleur de plus en plus importante du mouvement, la répression est montée d’un cran, principalement lorsque le mouvement a commencé à s’étendre à l’ensemble du territoire national. En effet, suite à l’arrestation de Zefzafi et de nombreux manifestants, la contestation s’est étendue à de nombreuses autres villes du pays, en soutien à la région et aux prisonniers politiques arrêtés en marge des manifestations. Le point culminant de la contestation étant la manifestation du 11 juin 2017 à Rabat qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de manifestants. Cette manifestation, vu son ampleur, fut plus importante que n’importe quelle manifestation ayant eu lieu en 2011 au Maroc.
C’est cette ampleur que prend le mouvement qui pousse le pouvoir central, le makhzen, a réprimer violemment les manifestants en procédant à des arrestations et à des condamnations importantes. Nous avons assisté à la condamnation de plusieurs jeunes manifestants à des peines allant jusqu’à 18 mois de prison ferme. Cette issue à la crise recherchée par le makhzen a envenimé le mouvement et rassemblé davantage en solidarité avec ces condamnés.
C’est à l’occasion de la fête de l’Aïd al Fitr, qui célèbre la fin du ramadan, lundi 26 juin 2017, que les violences entre policiers et manifestants ont été les plus importantes avec plusieurs blessés, tant du côté des manifestants que de celui des policiers. En effet, une manifestation était organisée mais fut dispersée dans la violence par les autorités locales qui se sont attaquées aux manifestants à coups de matraques. Cette répression qui est montée d’un cran pendant le mois de ramadan peut être questionnée. Pourquoi le pouvoir réprime les manifestants durant ce mois de solidarité et de paix ? De plus, nous pouvons aussi nous demander quel est l’intérêt des autorités à réprimer durant la fête sacrée et nationale marquant la fin du ramadan.
La violence cible également les journalistes qui se retrouvent empêchés de couvrir les événements à Al Hoceima. L’ONG Reporters Sans Frontières dénonce l’expulsion du journaliste Djamal Alilat, grand reporter au journal El Watan, ainsi que l’arrestation et la disparition de plusieurs journalistes marocains voulant couvrir les manifestations du Rif. Nous pouvons nous demander si les autorités souhaitent étouffer les événements du Rif en empêchant la couverture médiatique . Cela étant contraire à la liberté d’information consacrée par la constitution de 2011 dans son article 27, nous pouvons nous demander si cette constitution et ses institutions sont réellement abouties et mises en vigueur.
Ce sont ces violences qui montrent la volonté du pouvoir marocain de ne pas traiter les problèmes exprimés par le Hirak mais à faire taire le mouvement de contestation par la violence. Cette violence montre clairement que les autorités refusent d’entendre les revendications du mouvement et se concentrent sur l’asphyxie de celui-ci. Or cette violence ne fait qu’envenimer la colère des manifestants qui continuent de manifester de plus en plus massivement. Cette violence d’État entretient le mouvement contestataire et le nourrit. Cette violence s’est traduite par la dispersion à coups de pieds et de matraques d’une manifestation devant le Parlement marocain à Rabat le 8 juillet 2017. Alors même qu’une manifestation avait lieu au même moment à Casablanca, cette dernière ne fut pas réprimée et s’est déroulée dans le calme.
Ce dernier fait nous pousse à nous demander pourquoi cette violence est ciblée et quels sont les critères de répression.
Une crise politique et institutionnelle
Parmi les revendications nous trouvons la volonté du peuple de renouveler les élites politiques locales. Cela se traduit par le faible taux de participation des habitants d’Al Hoceima aux élections législatives qui n’a été que de 28%, ce qui est extrêmement faible par rapport au taux national qui est de 43%. Ce taux de participation a été un moyen pour les habitants de cette ville de montrer leur mécontentement vis-à-vis des élus locaux.
Ce mécontentement vient du manque important de confiance envers les institutions constitutionnelles de 2011. Il est vrai que le Maroc a, en 2011, lancé un nouveau processus constitutionnel, qui a permis la mise en place d’une nouvelle constitution avec de nouveaux mécanismes démocratiques. Mais malgré cela, la défiance de la population rifaine reste la même. Cela s’est accentué avec l’augmentation importante du taux de chômage depuis la mise en place de cette constitution.
De plus, la crise politique qu’a connue le Maroc à la suite des élections législatives d’octobre 2016 n’a pas arrangé les choses. En effet, suite aux élections législatives d’octobre 2016, élections gagnées par le Parti Justice et Développement (PJD), parti de droite conservateur à références islamiques, aucun consensus n’a été trouvé en vue de la formation du nouveau gouvernement. Cette situation va empêcher la création d’un dialogue entre les Rifains et le pouvoir central. Cette crise gouvernementale, qui a duré plus de 6 mois, s’est dénouée en avril 2017 avec la création d’un nouveau gouvernement dirigé par Saad-Eddine EL OTHMANI, chef du gouvernement marocain. C’est finalement, en mai 2017 que le nouveau gouvernement récemment nommé se décide à envoyer une délégation gouvernementale composée de ministres sur place mais ces derniers sont totalement ignorés par le Hirak qui espère la venue du roi dans la région. Le roi ne montre pour le moment aucune intention dans ce sens. Il faut comprendre cette situation dans la nature profonde du pouvoir marocain : en laissant le Makhzen (3) s’occuper des affaires nationales tant qu’elles ne présentent pas d’enjeu sécuritaire ou religieux, le roi préserve son pouvoir en se situant au-dessus des questions courantes.
La crise ouverte par les résultats des élections législatives a occasionné un vide politique durant une période de quasiment 6 mois à partir d’octobre 20167, ce qui n’a pas permis une intervention du pouvoir marocain afin de calmer les manifestations dès leur apparition dans le Rif. Cette absence de gouvernement a, au contraire, permis au mouvement de grandir et de se nourrir de cette crise institutionnelle.
Aujourd’hui, malgré la formation d’un gouvernement, nous n’assistons aucunement à une intervention effective du pouvoir central mais seulement à des promesses. En effet, le 30 juin 2017, le ministre de l’agriculture, Aziz Akhannouch, s’est déplacé à Al Hoceima afin de faire le point sur plusieurs programmes agricoles bénéficiant à la région d’Al Hoceima. Cette visite s’est soldée par l’annonce du ministre de l’agriculture de l’exploitation de 10 000 hectares de terres en vue d'y planter des arbres fruitiers, de l’accélération de la construction d’une usine de lait dans le but d’accroître la production de lait de la région. Cette visite du ministre de l’agriculture a été l’occasion de mobiliser plusieurs ministres et hommes d’affaires afin de penser des projets de développement pour la région. Mais tout cela ne reste que des promesses et des engagements qui ne calment en aucun cas les manifestations. Ces derniers voulant des mesures concrètes et visibles rapidement, ils restent très sceptiques vis à vis face à ces promesses.
Quelle que soit l’issue des manifestations et du mouvement, le Rif a permis une avancée significative des représentations. En manifestant sans arrêt depuis novembre 2016, cette région a pu montrer à tout le reste du Maroc la situation de délaissement qu’elle vit. Cette région a aussi pu manifester tout son courage et les oppositions qu’elle entretient avec le pouvoir central. Tout cela a contribué à modifier le regard que porte l’ensemble du Maroc sur cette région longtemps délaissée car considérée comme insoumise et composée de « Awbach » (sauvages) pour reprendre le terme utilisé par le roi Hassan II dans son discours de janvier 1984.
Ce changement de perception et cette solidarité envers le Hirak a contribué a faire de ce mouvement l’un des mouvements sociaux les plus imposants et les plus importants de l’histoire marocaine. Il pose donc un véritable défi pour le pouvoir.
Notes :
- (1) Mohamed Bouazizi, martyr de la révolution, Le monde, 19 janvier 2011. http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2011/01/19/mohamed-bouazizi-martyr-de-la-revolution_1467615_1466522.html
- (2) Nasser Zefzafi, l’insurgé du Rif marocain, Le monde, 28 avril 2017. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/28/nasser-zefzafi-l-insurge-du-rif-marocain_5119611_3212.html
- (3) Le Makhzen représente ce système de népotisme marocain basé sur les privilèges et proche du pouvoir monarchique.