Mixité sociale, injonction à vivre ensemble, quelle gestion des quartiers ?
Par Claske Dijkema le vendredi, mai 4 2018, 13:41 - Lien permanent
Pendant la 8e rencontre du cycle "Que reste-t-il du passé colonial" organisée dans le cadre de l'Université populaire de la Villeneuve, nous voulions savoir si on peut parler d'une gestion coloniale des quartiers populaires, comme le Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB) faisait déjà dans les années 1990 ? Par exemple dans les rapports entre la police et la population, dans la politique de la ville, dans la mission du programme de rénovation urbaine de ‘mélanger les populations’. L'hypothèse que nous avions est que les discours politiques qui posent les quartiers comme problème, comme des « territoires perdus de la république » à reconquérir et des « zones de non-droit », puisent dans un imaginaire colonial.
Le but de cette soirée était d’avancer dans notre questionnement sur le passé colonial au présent. Pas mal de réponses ont déjà été trouvées. Nous avons vu ce qui en reste dans nos vies de tous les jours, dans les transmissions et silences dans nos familles et dans ce qu’on apprend et qu’on n’apprend pas sur les bancs de l’école. Ensuite nous avons vu que le racisme aujourd’hui est un héritage d’un imaginaire construit pendant la période coloniale avec l’invention des races et la hiérarchie des cultures. Cet imaginaire continue à informer les politiques, notamment sur les questions sociales : la femme immigrée qui doit être sauvée des coutumes traditionnelles. Enfin, nous avons vu aussi ensemble comment on peut re-imaginer la France avec Glissant, pas comme faite d’une souche mais à partir des rencontres, en se créolisant. Cette soirée était dédiée à la question comment une vision coloniale continue à informer le regard sur les quartiers et les politiques en sa direction.
Depuis des années les discours politiques posent les quartiers comme un problème, comme des espaces à part, des « territoires perdus de la république » à reconquérir et comme des « zones de non-droit ». Ils puisent dans un imaginaire colonial. Le dernier exemple en date est celui d’Emmanuel Macron qui disait en novembre dernier qu’il faudrait « remettre la République au cœur de nos quartiers ». Il sous-entend que les quartiers sont en opposition de la république, des espaces « autres », où règne un rejet de la république tandis que le sentiment qui est davantage partagé selon nous est un abandon par la république, dans laquelle il n’y a pas de place « pour nous ».
Pour moi oui, je suis première génération immigrée, arrivée en France il y a 15 ans. Mes enfants qui n’ont pas la nationalité française, parlent une autre langue à la maison, sont traités comme des Français. Comment se fait-il que les personnes qui sont nés ici, dont les parents sont nés ici qui parlent un parfait français sans l’accent bizarre de moi sont encore considérés comme des citoyens de 2e rang, surtout quand ils habitent un quartier ?
Un appel, publié il y a 13 ans, dénonçait exactement cette situation :
Discriminés à l’embauche, au logement, à la santé, à l’école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration post-coloniale sont les premières victimes de l’exclusion sociale et de la précarisation. Indépendamment de leurs origines effectives, les populations des « quartiers » sont « indigénisées », reléguées aux marges de la société. Les « banlieues » sont dites « zones de non-droit » que la République est appelée à « reconquérir ».
Source : Appel des Indigènes de la République, 2005 Sarkozy démontrait mot pour mot la situation que l’appel dénonçait quand il était venu à Grenoble en 2010 suite à la mort de Karim Boudouda au pied de la Galérie d’Arlequin, tué par une balle de la police et qui a provoqué 3 jours de révoltes.
Déjà en 2010 les habitants ont répondu à ce discours avec 100 contre-discours. Une personne qui répond aussi très bien à ce type de discours est Françoise Vergès à qui est posée la question « pourquoi les quartiers populaires sont-ils impopulaires ?». Elle répond premièrement par le mépris du peuple et deuxièmement par le passé colonial de la France.
Trois invités étaient présents pour répondre à nos questions : Marie-Hélène Bacqué, Pierre Didier Tchétché-Appia et Guillaume Roux
Trois questions ont rythmées le débat:
- A partir de quand, la banlieue, les quartiers sont-ils formulés comme problème dans les discours politiques ?
- Nous avons l’impression que les politiques contribuent à la stigmatisation des quartiers en les situant comme des territoires à part, nécessitant une politique spécifique, une politique d’exception et qu’elles empêchent en même temps qu’une vraie parole politique des habitants émerge.
- Une large opération de rénovation urbaine est en cours à Villeneuve qui œuvre pour une plus grande mixité sociale dans le quartier. En 2015 Said Bouamama était venu à l’Université populaire et il avait à ce sujet : « Tout un discours est développé depuis au moins trois décennies pour essayer de vous faire croire que les problèmes des quartiers populaires tient à ce que les pauvres soient entre eux. Non, c’est parce qu'ils sont pauvres, ce n’est pas parce qu'ils sont entre eux. Ce n'est pas la même chose. Il y a un modèle qui ressemble au modèle colonial en vérité, mais pour les classes sociales. Qui est de dire : si on arrive à mettre dans les quartiers des couches moyennes, ils vont montrer aux ouvriers et aux chômeurs comment il faut se comporter. Comme s'ils étaient des sauvages et ne savaient pas comment se comporter ! Il faut garder un regard critique même là-dessus. » (Said Bouamama, 2015)
Alors, la mixité sociale dans les projets de rénovation urbaine, serait-elle une nouvelle forme de mission civilisatrice ?
Une synthèse des échanges sera disponible prochainement.
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